LA MORT ET LE BUCHERON

 

Un Malheureux appelait tous les jours

La mort à son secours.

Ô mort, lui disait il, que tu me sembles belle!

Viens vite, viens finir ma fortune cruelle.

La Mort crut, en venant, l'obliger en effet.

Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.

Que vois je! cria t il, ôtez moi cet objet ;

Qu'il est hideux! que sa rencontre

Me cause d'horreur et d'effroi!

N'approche pas, ô mort ; ô mort, retire toi.

Mécénas fut un galant homme

Il a dit quelque part : Qu'on me rende impotent,

Cul de jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme

Je vive, c'est assez, je suis plus que content.

Ne viens jamais, ô mort; on t'en dit tout autant.

Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée,

Sous le faix du fagot aussi bien que des ans

Gémissant et courbé marchait à pas pesants,

Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.

Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,

Il met bas son fagot, il songe à son malheur.

Quel plaisir a t il eu depuis qu'il est au monde ?

En est il un plus pauvre en la machine ronde ?

Point de pain quelquefois, et jamais de repos.

Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,

Le créancier, et la corvée

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.

Il appelle la mort, elle vient sans tarder,

Lui demande ce qu'il faut faire.

C'est, dit il, afin de m'aider

À recharger ce bois; tu ne tarderas guère.

Le trépas vient tout guérir ,

Mais ne bougeons d'où nous sommes.

Plutôt souffrir que mourir,

C'est la devise des hommes.